Le drame de Biollet (12 mars 1873)

« Le drame de Biollet », tel est le titre d'un article parut le 22 mars 1873 dans le journal  Le XIXe siècle en date du 22/03/1873, dont voici la transcription :

Une du XIXe siècle de 22/03/1873

On lit dans le Moniteur du Puy-de-Dôme :
Un crime accompagné de circonstance extrêmement graves vient de faire naître une vive émotion dans le canton de Saint-Gervais.

A quelques kilomètres de Biollet, se trouve un petit hameau appelé les Cheix, bâti sur les ruines d'un vieux manoir qui a joué un grand rôle dans les guerres féodales ; il appartenait à la famille de Vallon d'Ambrugeas. Il n'en reste aujourd'hui que quatre tours à demi rasées et le mur d'enceinte, qu'on a utilisé pour bâtir quelques maisons. Ce mur longe sur une assez longue étendue un vaste étang, au bord duquel se trouve une maison bourgeoise et d'assez coquette apparence.

C'est là qu'habitaient les deux frères Géraud-Dumontel, dont le cadet, placé aujourd'hui entre les mains de la justice, est âgé de 74 ans.

Grâce à leur intelligence, à leur esprit d'ordre, ces deux frères, après avoir beaucoup voyagé, finirent par réaliser une fortune relativement considérable. Bien apparentés, doués d'une grande considération, ils avaient une certaine position dans leur commune : l'aîné en fut longtemps maire, l'autre adjoint. L'un et l'autre étaient serviables et influents.

Il y a environ une trentaine d'années, François Géraud-Dumontel, l'aîné des deux frères, recueillit chez lui un jeune enfant, François Madebène, fils d'un de ses fermiers. Il en était du reste le véritable père, disait la chronique, et de fait la ressemblance était frappante.

Les deux frères Dumontel vécurent ensemble de longues années dans le plus parfait accord ; mais en 1871, ils se brouillèrent tout à coup pour des questions d'intérêt.

L'année suivante, le frère aîné mourut. Par testament, il avait institué son frère Antoine et François Madebène usufruitiers de ses biens immobiliers et leur avait laissé en outre la propriété de sa fortune mobilière.

Ce testament fut la source de discussions violentes entre les deux parties intéressées. Madebène était content de la part qui lui était faite ; mais Géraud-Dumontel, qui s'était toujours considéré comme l'héritier légitime de son frère, n'acceptait ce partage qu'avec peine. Ses sentiments sur ce point ne pouvaient être douteux, car il ne manquait pas une occasion de manifester sa haine contre François Madebène.

Dans la journée du 13 mars courant, M. Bertin, adjoint de la commune de Biollet, fut mandé au hameau de Cheix : c'était Géraud-Dumontel qui requérait son assistance. « La veille, disait-il, il n'avait pu rentrer chez lui ; toutes les portes étaient fermées et personne ne répondait à son appel ; il supposait que françois Madebène avait succombé à une congestion cérébrale ou s'était fait sauter la cervelle. » Toute la famille était sur les lieux ; l'adjoint fit enfoncer les portes qui étaient fermées en dedans et on se trouva tout à coup en présence d'un horrible spectacle.

Sur le sol de la cuisine, près de l'âtre, un cadavre était étendu. Entre ses jambes se trouvait un pistolet déchargé. Ce cadavre était celui de françois Madebène.

Il portait à la tête une blessure produite par une arme à feu. Le projectile était entré sous l'oreille gauche pour sortir au milieu du front ; sur le sol, de large flaques de sang et des lambeaux de cervelle qui avaient jailli en sortant de la hernie produite par le coup de feu.

Se trouvait-on en présence d'un suicide ou d'un meurtre ? Telle était la question que se posaient les assistants. Dans tous les cas, la mort devait avoir eu lieu depuis assez longtemps dèjà, car le coprs était privé de chaleur et déjà raide.

Personne n'avait vu Madebène depuis la veille à sept heures du soir. Géraud-Dumontel raconta qu'il l'avait laissé à cette heure occupé à peler des pommes de terre dans un plat. On chercha aussitôt ce plat, et Dumontel lui-même alla le prendre dans le buffet et le présenta à l'adjoint. Celui-ci constata sur les pommes de terre une large traînée de sang et des débris de cervelle. Dumontel, dont la vue est très-faible, ne les distinguait même pas.C'était un témoignage puissant établissant que la mort était due à un assassinat. En effet la blessure avait dû foudroyer Madebène, et une main étrangère seule avait pu enlever de la table les objets sur lesquels le sang et la cervelle avaient jailli.

Géraud-Dumontel fut atterré de cette découverte, et il paraît même que, dans la nuit, il fit des tentatives auprès des hommes de garde pour obtenir la remise de cette pièce de conviction accablante et la faire disparaître.

Le lendemain, M. H. Gomot, procureur de la République, et M. Robert, juge d'instruction, assistés de M. le docteur Aiguilhon père, se transportaient sur le lieu du crime où se trouvaient déjà le juge de paix du canton et les autorités locales.

Après une longue information qui s'est prolongée fort avant dans la nuit, Géraud-Dumontel a été mis en état d'arrestation.

On nous assure qu'il a fait tous ses efforts pour faire croire à un suicide. Ce système pouvait paraître assez vraissemblable, du reste, à raison de cette circonstance que pour pénétrer jusqu'au cadavre, l'adjoint avait dû forcer les portes qui étaient toutes fermées en dedans. Mais les recherches minutieuses ont permis de constater que l'on pouvait du dehors faire retomber dans son piton le crochet qui sert de fermeture à la porte de la chambre où couchait Madebène. Le meurtrier, après avoir pris cette précaution, avait traversé le corridor, fermé en dedans la seconde porte donnant sur la rue, puis montant au grenier, il avait pu s'échapper par la toiture.

L'opinion publique était très-surexcitée contre Géraud-Dumontel, que l'on considérait comme l'auteur du crime. Les habitants du hameau des Cheix ont sans doute révélé contre lui les charges les plus graves, car après avoir tenté de faire retomber sur d'autres la responsbilité du crime, Dumontel a fini par entrer dans la voie des aveux.

S'il faut en croire ce qui nous est affirmé, il prétendait qu'il aurait été outragé par Madebène, et que c'est pour se venger des provocations de ce dernier qu'il lui aurait tiré un coup de pistolet à la tête.

Géraud-Dumontel a été conduit hier à la maison d'arrêt de Riom.

C'est un petit homme sec, nerveux, étonnamment conservé pour son âge. Il est instruit. Il écrit et il parle avec une très-grande facilité.

Cette affaire passionne beaucoup l'opinion dans les cantons de Saint-Gervais et de Pionsat, où le prévenu possède un grand nombre de parents jouissant de l'estime publique.

Voilà une bien belle histoire, racontée avec force détail : l'amateursime du meurtrier, digne d'un scénario des frères Coen, frise la comédie ! Sans doute est-ce pour cela que les archives départementale en ont tiré un excellent documentaire qui a eu droit aux honneurs d'une émission sur France Bleu Pays d'Auvergne.

Le site des archives départementales présente également un plan de la scène du crime :

Le blog Saint-Priest-des-Champs-Passionement en a également fait un article, dans lequel on trouve un lien vers la le numéro du 18 mai 1873  de la gazette des tribunaux qui rapporte en détail le procès. L'article donne également des précisions sur la famille Géraud-Dumontel :

Gervais GÉRAUD-DUMONTEL, né le 11 janvier 1770 à Saint-Gervais est le fils de Jean Antoine GÉRAUD-DUMONTEL, Sieur du Montel et de la Barge, Greffier en chef au dépôt de sel de Saint-Gervais, Procureur d’office et de Jeanne GEORGE de DURMIGNAT. Gervais, qui occupe la fonction de Chef de bureau des impôts à Montaigut, épouse, le 4 mars 1793 à Marcillat-en-Combraille, Eléonore REDON, née le 26 septembre 1760 à Saint-Médard-la-Rochette (Creuse).

Dès leur mariage ils s’installent comme propriétaire au hameau du Cheix commune de Biollet. De cette union sont nés quatre enfants :

  • Jeanne, est née le 27 septembre 1794 au Cheix et elle est décédée le 30 juillet 1863 à Montmarault. Elle avait épousé, le 26 mai 1818 à Biollet, Gilbert Rémy DESCHARRIERES ;
  • Marie Anne dite Constance, est née le 8 août 1796 au Cheix et elle est décédée le 30 septembre 1874 au bourg de Biollet ; veuve de Jean GOURSON, qu’elle avait épousé le 10 juin 1822 à Biollet ;
  • François, est né le 27 décembre 1797 au Cheix et y est décédé le 6 avril 1872. Il a été adjoint au maire de Biollet de 1858 à 1865, puis maire de cette même commune de 1866 à 1870.
  • Antoine, est né le 25 juin 1799 au Cheix et il est décédé le 21 juin 1873 à Riom.

Et sur François Madebène :

François MADEBÈNE, est né le 31 juillet 1835 au Cheix, il est le fils d’Amable MADEBÈNE et de Françoise MADEBÈNE, propriétaires-cultivateurs au village des Cheix.

Au passage, cette histoire nous confirme que le château du Chey évoqué dans les Coutumes Générales et Locales d'Auvergne était bien à l'emplacement de la chocolaterie Choco Marcel !